Dimanche 15 mars

Nous sommes en état d’alerte maximal depuis Septembre 2018 Sabine et moi, le Covid-19 et ses confinements induits ne représentent pas franchement un stress additionnel. Parallèlement, pour ce qui concerne Isaline, nous avons du mal à voir ses thérapeutes ou ses institutrices comme des coupables potentiels, mais puisque le virus guette, il faut s’en esquiver.

Depuis qu’elle est assidue à sa machine NRF walker sur laquelle elle « fait semblant » de marcher il semble qu’Isaline libère quelques facultés par paliers inégaux. J’ai pris l’habitude de lui demander vingt fois par jour « comment tu t’appelles ? » et j’inventorie ses réponses aléatoires dans la musique et dans le rythme. Il y a quelques jours, après lui avoir demandé son prénom et attendant avec un grand sourire incitateur et des hochements de tête vers l’avant pour lui donner envie de me répondre, elle a répondu dans un souffle léger, hésitante mais résolue, avec ses yeux plantés dans les miens «i-ja-dine». C’était bouleversant. Ça ne s’est plus reproduit depuis, mais c’est là.

On a franchi la marque des 14 kilos la semaine dernière, elle affichait crânement 14.3 sur la balance de Clair-bois. Il faut dire que nous sommes vigilants et insistants sur ce point, et que nos efforts sont enfin récompensés. On charge un peu la mule au petit-déjeuner, avec une cuillère de céréales en plus dans son biberon, assortie de 50ml d’eau supplémentaires, et on continue à monitorer les quantités au jour le jour. À présent, on met un coup de projecteur long terme sur le rapport entre les liquides ingérés par la bouche et ceux administrés par sa peg. Notre prochain objectif, aussi incertain que l’infléchissement du taux de contamination au coronavirus dans nos sociétés, sera de la voir boire ses 800 millilitres de liquides intégralement par la bouche, quotidiennement, pendant un mois. Quand on aura ça, on pourra lui retirer son petit bouton ventral, pas avant. Et bien malin celui qui saura combien de temps cela prendra.

Isaline fait du poney, et ça la secoue joyeusement. Elle est fière tout là-haut, et sourit à tout va. Ça lui muscle la nuque, et ça la sort. Le bon Nounours, 19 ans au compteur, est une bonne pâte, et la dame qui le tient en longe a une belle expérience des enfants qu’on lui confie pour ce genre d’activité d’éveil.

Ce soir, terminant avec elle un épisode de Tchoupi en serrant ses mains, je me faisais la réflexion qu’elle jouait de pressions alternatives avec ses doigts dans mes paumes; c’est la première chose qui est partie quand elle a été traitée contre ses convulsions pendant la première semaine de soins intensifs. Isaline avait un regard absent, et ses mains inertes ne communiquaient plus.

Ça revient peu à peu, Isaline chérie