Lundi 1er octobre

Isaline prend un peu d’assurance. Elle a sa main valide plus souvent ouverte, et il faut continuer à la travailler paume ouverte pour éviter un rétrécissement des tendons. Elle a des traits moins anxieux, et on sent qu’elle nous fait confiance lorsqu’on la manipule dans une baignoire ou pour la mettre dans sa poussette un peu aménagée. Ses séances de physiothérapie sont prometteuses pour le maintien de la tête. Vivement qu’on lui enlève son plâtre, voici un mois qu’elle n’a pas eu accès à sa main avec son autre main et qu’elle est « lestée » depuis la base de l’épaule côté droit.

Sabine et moi avons pu nous entretenir avec les spécialistes de l’institut de cerveau et de la moëlle épinière à Paris, et les professeurs spécialisés nous disent qu’il est urgent de ne rien faire en ce qui concerne des examens supplémentaires. La lecture des IRM ne donne pas de pronostiques, et personne n’est en mesure d’intervenir pour accélérer une quelconque neurogenèse. Cependant il est jugé judicieux de stocker les cellules souches en Suisse (interdit en France) de son petit frère ou de sa petite sœur (on se garde la surprise) parce que dans dix ou quinze ans, peut-être qu’on saura quoi en faire pour, le cas échéant, améliorer sa condition. On espère évidemment qu’Isaline n’aura pas de séquelles, mais il faut se préparer à tout.

Nous avons aussi eu la visite du père Potez qui a baptisé Isaline l'année dernière. Fils de médecin, et accompagnant les malades, il sait que la prière ne marche malheureusement pas toujours, mais ses éclaircissements prosaïques nous ont plu: «s’attendre à tout, mais n’attendre rien». Subtilités sémantiques autour d’un verbe accidentellement pronominal, le français est parfois magique. Tout comme la prière. Surtout continuer. Demander audacieusement la guérison totale et rapide, et avoir la foi que cela pourra se produire.

Isaline a changé de lait pour pallier la problématique nutritive par sonde. Elle tolère bien la solution à 1.5 calorie par millilitre, ce qui permet de réduire la dose d’un quart. Sabine a tenté de donner de la purée de pomme de terre à midi, histoire de changer un peu, mais ça n’a pas eu l’effet escompté : elle a eu des nausées, alors que son lait n’avait pas encore commencé à s’écouler. On va s’en tenir à la compote de pommes... Autre détail qui passionnera les artistes : Isaline change de chambre… La grosse centaine de chefs-d’œuvre qui tapisse les murs se voit déscotchée pour être réagencée cet après-midi par Oma, Oncle Marcel, et Opa. Le déménagement du Louvre n’est rien à côté, et les dessins continuent à affluer, vous êtes formidables, ces dessins sont précieux; chaque dessin est un encouragement pour elle. Elle en a besoin, et nous aussi.

Enfin la phrase encourageante du jour revient à une gentille infirmière qui connait bien Isaline : « cœur content soupire souvent ». Isaline soupire. Les soupirs sont les prémices du mot, on allie un son à la respiration, c’est une amorce communicative. Ses soupirs sont un tantinet monocordes comparé aux mélodies qu’elle façonnait en jouant dans le salon, mais sur le plan fonctionnel, c’est une avancée qui nous conforte dans le rêve du progrès permanent.

Accroche-toi, Isaline chérie.