On a fêté l’anniversaire d’Isaline. C’est Ernest qui, en tenant la main de sa petite sœur très au fait de ce qui se passait, a soufflé les bougies. Le 22, après avoir dompté sa fièvre et quelques désagréments, Isaline subissait sa sixième anesthésie générale en cinq mois et se faisait remplacer son dispositif d’alimentation parentérale par un procédé beaucoup plus léger et discret. Cette intervention a été stupéfiante : endormie à 10h, Isaline déjeunait en chambre vers midi, menu un peu allégé, et prenait son goûter à la maison à 16h. La médecine ambulatoire, qui transforme les parents en généralistes, est permissive. Le système médical moderne renvoie plus vite à la maison les convalescents. C’est pour le mieux de ce point de vue, mais Sabine et moi aurions beaucoup à redire sur la non-communication entre les services qui traitent, en spécialistes, les différentes pathologies d’un même patient.
Le personnel du centre d’éducation spécialisé de Clair-Bois continue à œuvrer pour l’amélioration gestuelle et cognitive d’Isaline. Isaline est plus leste qu’avant, ses articulations sont moins grippées en début de pliure. Elle gigote sur des tapis de sol et ses mains s’aplatissent, ce qui est de bon augure; le tonus, cette nervosité involontaire qui crispe et contraint les articulations de façon incontrôlée dans des directions qui ne sont pas naturelles, semble lâcher prise sur ses mains. On célèbrera le jour où elle sera en capacité d’applaudir. On arrive à donner l’illusion, sur la photo, qu’Isaline se tient comme une grande. Il y a quelques subterfuges, mais enfin, l’envie et le résultat sont là. Pour ce qui est de son attention, Isaline use de stratagèmes pour nous signifier qu’elle comprend plus qu’on n’imagine. Elle sourit. Elle se marre. Elle raconte à ses veilleurs de nuit des histoires à n’en plus finir. Elle gueule quand on ne fait pas attention à elle. Elle prend une demi-douzaine de cuillerées de soupes de tous poils à chaque repas avec application et appréhension, avec des mimiques tout aussi mystérieuses qu’amusantes. Tout ceci nous enchante.
Les séances à domicile sont douces et inventives. Sur un grand cadre léger, Corine, l’une de ses fées, celle qui intéresse Isaline à tout plein d’expériences, a posé une image d’yeux en haut à droite, une image de nez en bas à droite, une bouche en haut à gauche et un front en bas à gauche. Elle lui demandait de situer chaque partie du visage, et Isaline, en face, répondait en regardant dans la bonne direction à chaque fois. On s’est rendu compte qu’Isaline savait beaucoup plus qu’elle ne le montre conventionnellement. C’est une chance qu’elle puisse s’exprimer avec des restitutions savamment dirigées, ça donne envie de la faire progresser encore plus vite. Nous avons fait développer des photos de chaque personne de sa famille proche. Nous allons reproduire l’exercice pour qu’elle reconnaisse aussi les personnes. Puis viendra le tour des couleurs, puis celui des objets, et tout l’arsenal qui fait l’encyclopédie des enfants de deux ans.
Claire, encore une fée, celle qui est focalisée sur la bouche d’Isaline et tout ce qui se passe dedans, nous a signalé que notre histoire se rapprochait de celle des parents de Gaspard. L’aventure de cette famille au travers de la courte vie de leur quatrième enfant est relatée dans un livre qui s’intitule « Gaspard entre terre et ciel». Les trajectoires de nos enfants sont opposées. Gaspard est mort à 4 ans d’une maladie dégénérative; il a inexorablement décliné pendant deux ans, passant par toutes les phases qu’Isaline rencontre à sens inverse. Les thématiques du livre sont analogues à tout ce que nous traversons Ernest, Sabine et moi, mais notre coupe se remplit, alors qu’il est des familles, des existences, des contextes, où les coupes se vident, ou se cassent.
Le papa de Gapard écrit que le plus dur à vivre est l’impuissance face au temps qui commet ses méfaits jusqu’à causer la mort de son enfant. Sabine et moi réalisons la chance qui nous a été donnée de conjurer le sort, et à présent de pouvoir nous évertuer, nous acharner, même, à réparer, cajoler, entourer, soigner et élever notre fille au milieu de ses frères. On apprend la valeur du mot persévérance et grâce à vous tous qui priez pour elle infailliblement, Isaline remontera la pente.
Merci encore et encore de prendre le temps de nous donner des nouvelles si détaillées petite Isaline,. En faisant le bilan des jours qui passent , en énumérant, même le plus petit de tes progrès , la moindre amélioration, tu prends soin de nous rassurer , douces pensées à toi.
Le 1er février est aussi une date qui lie nos deux familles puisque Gaspard est décédé un premier février. Nous lui confions votre famille, votre Isaline et votre espérance. Amitiés. Les parents de Gaspard
Oui Isaline remonte la pente et grandit.
Baisers,
Albina
Dimanche, enfin tranquilles ! pas d’école, pas de jeux thérapeutiques-éducatifs-curatifs… juste tranquilles en famille. Papa voudrait sortir mais moi je suis fatiguée, je suis en train de remonter la pente, moi ! Maman est occupée avec mon petit frère. Je vais urler moi aussi, on va voir qui gagne ! Ernest est mon ami, cher grand frère qui me protège et a compris beaucoup de choses de moi. Par contre, je me demande ce qu’écrit papa sur moi le soir. Il me regarde, il me sourit et il écrit. On est bien en famille!
Maman s’approche pour un petit calin.
A bientôt, bisou
Isaline
Quels progrès! Tout doucement et si bien entourée chère Isaline on a l’impression que tu sors du brouillard. Nos prières sont tes essuie-glace qui t’aident en silence à y voir toujours plus clair. Happy birthday e God bless petite combattante